1° Contexte :
Le constat général est que les Etats-Unis et l’Asie ont généré des géants du numérique dans les 20 dernières années, et bien au-delà des emblématiques GAFA ou Baidu, des filières riches et dynamiques se sont constituées. Ceci fait conclure à certains qu’il n’est plus possible de développer d’entreprises performantes en numérique en Europe, parce les clients, les fournisseurs et les investisseurs sont tous outre-atlantique.
Ces filières se structurent autour de grandes architectures techniques et de règles de business explicites, qui ne viennent pas du hasard.
2° La construction des écosystèmes ou des filières :
Un examen plus détaillé montre que l’industrie aux Etats-Unis met régulièrement en œuvre des processus de structuration d’écosystèmes autour d’une nouvelle technologie, processus confiés à des sociétés spécialisées sur le montage et l’opération de telles alliances.
Intel est l’un des initiateurs de ces démarches, qui lui permettent d’initier indirectement la structuration d’écosystèmes de partenaires et de clients qui pourront consommer leurs chips de prochaine génération ou contribuer à leur mise en œuvre.
Voir à ce sujet la société californiennne Global Inventures, qui opère ou a opéré les alliances autour d’HDMI, USB V3, Lora, Genivi et bien d’autres standards émergents.
A noter que ces alliances sont ouvertes à l’international dès le départ (c’est même souvent un pré- requis de lancement), et que les institutions en sont absentes en général.
A noter également que l’Europe, dans l’industrie automobile en particulier, a su s’organiser sur le même type de démarche, par exemple le partenariat Autosar pour la standardisation de l’architecture logicielle des calculateurs automobiles, opéré par une filiale d’Altran depuis 2003.
En revanche, le secteur télécom et numérique, pour lequel les institutions ont été à l’origine en prise directe (GSM, DVB), n’a pas trouvé de relais puissant lorsque celles-ce se sont retirées.
La caractéristique de ces partenariats ou de ces alliances sur le modèle US est qu’ils vont bien au- delà de ce qui est couramment pratiqué en Europe dans les forums industriels.
Forum industriel type européen :
- Ordre de grandeur de l’inscription en k€
- Budget annuel en 100 k € permettant d’assurer la logistique des conférences, publications, etc
- Les entreprises désignent une ou des personnes participantes
- Pas de réalisations propres
Forum industriel type US :
- Ordre de grandeur de l’inscription en 100 k€ (pour les membres de tête)
- Budget annuel en M€ permettant d’établir une roadmap de livrables avec des spécifications,des plateformes de référence, des compliance tests, des opérations de marketing pour la notoriété et le recrutement.
- Le pilotage de ces opérations est confié à une société spécialisée, dont la fonction est d’être neutre sur le fond (débats techniques ou business), mais de garantir l’avancement, la prise de décision.
- La gouvernance de ces alliances est en général à 2 niveaux, avec un pouvoir de décision fonction de la taille de l’acteur et de l’investissement financier et en nature qu’il met dans
l’alliance
La standardisation des architectures futures se déroule en parallèle des développements des différents acteurs, ce qui garantit la pertinence de l’édifice et la synchronisation générale de mise sur le marché.
3° Impact de ces initiatives sur la structure des écosystèmes :
Le travail collectif en amont sur les systèmes ou problématiques futures permet à tous les acteurs d’un potentiel écosystème futur d’investir à moindre risque, étant donné que l’assiette de marché est large et que l’ouverture proposée est la promesse de ne pas être captif de gros acteurs.
Les relations techniques et de business bénéficient également de ce temps de maturation, ce qui permet une transparence des enjeux optimale, et une discussion entre partenaires potentielles très en amont, avant que les stratégies ne soient figées.
Enfin, les acteurs les plus efficaces ou les plus rapides ont une prime, puisque leurs solutions ont de forte chance d’être adoptées si elles sont ouvertes et mises à disposition, ce qui donne un avantage initial dans l’implémentation.
Il en résulte un écosystème fortement horizontalisé (permettant de limiter les développements ou à l’inverse d’aller beaucoup plus loin sur une couche donnée) : par exemple hardware cartes et chips, middleware, software applicatifs, sécurité, outils de conception, de simulation, de validation, test de conformité, prototypages, etc..
Chacun des acteurs peut investir en confiance, il pressent le paysage compétitif, prépare le terrain avec ses fournisseurs et avec ses clients, chacun ayant besoin de l’autre pour pouvoir gérer la pression temporelle et économique.
L’un des cas de figure à suivre aujourd’hui est le standard Lora (concurrent de Sigfox pour les communications de l’Internet des objets), qui bénéficie d’une dynamique mondiale remarquable, y compris en terme de notoriété, avant même d’être lancé opérationnellement.
A l’opposé, le mode de financement unitaire des start ups pousse à une intégration verticale jusqu’au marché/client final pour pouvoir asseoir le business plan sur des études marketing ou des retours clients initiaux (exemple kick starter).
Il en résulte un grand nombre de start up montées sur les mêmes thèmes (par exemple localisation, éco-conduite sur la prise diagnostic, ..), qui sont en risque d’être sous la masse critique de différents étages en terme d’investissement comme de compétences.
4° Un certain nombre d’écosystèmes sont à structurer, avec des enjeux européens élevés :
- Conduite autonome automobile
- Véhicule connecté
- Smart city
- Rail européen
- Connected home
- Données médicales
- Back office et cloud de l’Internet of Things
La liste n’est pas limitative.
5° Questions générales :
– Le manque de coopération vient-il de la culture ?
– Public contre privé, petites contre grandes entreprises, juniors contre seniors
– Résultat du manque de confiance ? de l’appétit de liberté et d’indépendance ? → ressorts sociologiques
– implicite du verticalement intégré jusqu’au client final
- S’appuyer sur un minimum de réalisations communes de référence : démonstrateurs, plateformes de références, outils de test de conformités, spécifications.
- Mettre en place des partenariats industriels autour d’un calendrier commun avec des étapes claires en termes de résultats.
- Faut-il solliciter des PME plutôt que des grosses entreprises qui obéissent à des logiques internes ? (syndrome du trou noir)6° La recommandation.
Sans se poser trop de questions, s’inspirer de ce qui marche ailleurs :
- Faut-il aller directement au plan d’action ?
- Les entreprises françaises ont accès et sont partie prenante des standardisations ayant cours sous l’égide des US → faut-il renforcer la participation sans se poser de question, comme les asiatiques ?
- La prévalence du court terme sur le moyen terme ? Logique du pivot ? On se faufile mais on ne construit rien ?
- Les schémas de financement public comme privés renforcent-ils cette tendance ? Analyse d’un périmètre complet jusqu’au client final pour valider un business plan. Inadaptation à la topologie des écosystèmes.
- Apprendre en marchant avec ses concurrents, ses clients et ses fournisseurs : élaborer les architectures techniques, la place de chaque acteurs, les business models associés, construire des solutions communes qui arrivent sur le marché de manière simultanée avec un discours homogène.
- Commencer à petite échelle si nécessaire, avec une stratégie de croissance agressive.